A chacun son désert
Le désert exerce une fascination, un attrait particulier au sein de la société occidentale. Peut-être est-ce pour échapper au désert de notre vie que chacun d’entre nous cherche à savoir ce que ce terme signifie exactement. Le mot résonne d’une charge mythique, voire mystique. Et sa traversée se confond souvent en une quête d’absolu.
Fréquemment, l’image que l’on se fait du Sahara est celle d’une immense étendue de dunes, une mer de sable que traversent les caravanes de dromadaires sous un soleil de plomb. Mais le désert, c’est bien plus que cela.
Pour vraiment le vivre, il faut le parcourir à pied ou à dos de dromadaire, au rythme de la caravane, dormir sous la tente ou à la belle étoile. C’est sans doute la meilleure façon d’appréhender les formes de vie qui y règnent. Et d’écouter la musique du silence…
Le désert du Sahara ressemble à une mosaïque de regs, ergs, hamadas, montagnes, autant de milieux différents offerts à la végétation. Défini par son aridité, le paradoxe du désert est que l’eau envahit tout en se confondant avec la lumière qui inonde. Rare et capricieuse, l’eau y est symbole de vie, plus que n’importe où. On la perçoit qui nargue le sable, formant des croûtes blanchâtres à sa surface. Et s’il y a de l’eau, il y a de la vie. Le règne végétal s’adapte à tous les milieux dès qu’il trouve les trois conditions nécessaires à son développement : eau, température et lumière. Les regs ensablés, assez fréquents, sont plus favorables à la végétation. Ces zones sont propices à l’acheb, ce tapis vert d’éphémères si spectaculaire. Le reg caillouteux, quant à lui, est plus réfractaire à toutes végétations car les plantes n’ont plus de sols où s’enraciner.
Les hamadas occupent une grande part du Sahara. Sur ces plateaux pierreux, la végétation a bien du mal à trouver sa place. Certes, les plantes sont variées, mais elles doivent se réfugier dans des petites dépressions, dans les incisions qui marquent la surface. On y trouve ces étranges petites boules ligneuses, toute sèches qui n’attendent que l’eau pour se déployer et que l’on appelle Rose de Jéricho (Anastatica hierochuntica) . Le milieu privilégié dans le Sahara est sans contexte l’oued, caillouteux ou ensablé. La végétation y est presque toujours présente. C’est là que l’on trouve les arbres, absents des regs et des dunes. Dans les oueds caillouteux, l’étonnant mais omniprésent Pommier de Sodome (Calotropis procera) offre ses fleurs violettes et ses gros fruits ovoïdes. Son tronc ligneux est recouvert d’une écorce de liège épais et produit un latex toxique très irritant.
Généralement perchés sur des nebkas – petites dunes formées initialement par un obstacle tel qu’une touffe de graminées, un buisson ou un amas de pierres -, les Tamarix aux lourdes branches tordues exsudent l’excès de sel. Si l’on frôle leur rameaux, ils laissent tomber une pluie blanchâtre comme du givre. C’est que, dans leur quête de l’eau à tout prix, ils sont amenés à supporter la présence de sels, les dépressions salines étant extrêmement fréquentes dans les déserts.
Le « vaisseau du désert », fidèle compagnon du bédouin, est un parfait modèle d’adaptation aux conditions climatiques du Sahara. Pourtant, la forme actuelle du dromadaire est une espèce domestiquée depuis plus de cinq mille ans. Son introduction en Afrique du Nord serait à peine antérieure à l’époque romaine et s’est faite par l’Arabie via l’Egypte. La sobriété du dromadaire n’est pas légendaire et tient à son organisme particulièrement économe en eau et en énergie. Par forte chaleur, sa température corporelle augmente jusqu’à 42°C, ce qui diffère sa transpiration pour refroidir son corps. Au plus froid de la nuit, il la fait baisser à 30°C pour éviter un gâchis d’énergie de régulation de température. Les yeux sont protégés du vent de sable et de la poussière par une double rangée de cils en forme de peigne. Ses fosses nasales réfrigérantes lui permettent d’humidifier l’air trop sec inhalé. Herbivores, les dromadaires mangent des herbes sèches, des plantes halophytes (salées) comme le tamaris, mais également des épluchures, du pain, de l’orge… Ses lèvres fines et indéchirables sont capables de brouter les épines d’acacia.
Son pied est composé de deux orteils reliés par un coussinet élastique, l’ensemble formant une semelle antidérapante adaptée à la marche sur le sable et sur les roches plates. De gros ongles aussi rigides qu’un sabot amortissent les chocs. Enfin, cette bosse dorsale mystérieuse qui le caractérise lui sert de garde-manger pour survivre à trois semaines de disette.
Le dromadaire marche l’amble, c’est-à-dire que les deux jambes du même côté se lèvent ou se baissent en même temps. Son pas tranquille donne à la caravane une allure de balancier calme et régulier. Mais, à moins d’avoir de grandes jambes, il est difficile de soutenir le rythme de ses grandes foulées. Une journée de méharée débute tôt le matin, après avoir savouré les premiers rayons du soleil sur la plus belle dune, tout en prenant le petit déjeuner.
Le campement de la nuit est démonté rapidement, empaqueté et chargé sur les dromadaires, qui peuvent chacun supporter une charge de 200 kg. Nous voilà partis pour une marche de plusieurs heures, avant que la chaleur ne devienne trop insupportable. Des arrêts réguliers sont prévus pour s’hydrater, pour reprendre son souffle, pour observer les traces laissées dans le sable par quelques visiteurs nocturnes tels que le fennec, la gerboise, la vipère à cornes, le poisson des sables… A midi, le soleil est à son zénith et ses rayons ardents brûlent la peau. C’est alors que l’ombre salvatrice d’un groupe d’acacias ou de tamaris vient à point pour une halte déjeuner. Les dromadaires sont débâtés, et, à peine les paniers posés au sol, le thé vert désaltérant est servi.
Après s’être rassasié et reposé, la caravane se remet en branle pour quelques heures. C’est que la nuit tombe vite dans le désert et mieux vaut atteindre le lieu de campement avant qu’il ne fasse complètement noir. Vers 18h00, le soleil se couche derrière les dunes, offrant un spectacle féérique pour laisser peu à peu la place à une voûte étoilée à faire pâlir d’envie tous les astronomes. La nuit, les étoiles semblent si proches, qu’il suffirait de tendre la main pour en retenir quelques-unes au creux de la paume. Temps et espace ne font plus qu’un. La distance en tant que telle est abolie, elle se comptabilise en nombre de jours de marche comme le rappelle le fameux panneau à la sortie de Zagora: « Tombouctou, 52 jours », comprenez, 52 jours de marche à dos de dromadaire.
Isabelle.
Ouvrages et websites de référence:
Un désert plein de vie. Carnets de voyages naturalistes au Maroc saharien, Michel Aymerich & Michel Tarrier, La Croisée des chemins, 2010.
Le livre des déserts. Itinéraires scientifiques, littéraires et spirituels, sous la direction de Bruno Doucey, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2006.
Le désert, Philippe Frey, Le Cavalier Bleu éd. Collection Idées Reçue, 2006.
La quête du désert. D’un rêve à la réalité, Eric Milet, Arthaud, 2005.
Désert. Nomades, guerriers, chercheurs d’absolu, dir. Edwige Lambert, coll Autrement, H.S. n°5, novembre 1983.
http://www.sahara-nature.com/: site sur la Faune et Flore du Sahara
http://www.geres-asso.org/ : site du Groupe d’Etude et de Recherches des Ecologistes sahariens