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Rencontre à Marrakech

26 janvier 2024

Hakim, charmeur de serpent à Jemaâ el Fna

« Tu me trouveras sous le parasol en face de la Grande Poste ». Drôle d’endroit pour un rendez-vous ? Pas tant que ça quand on s’apprête à rencontrer un charmeur de serpents de la place Jemaâ el Fna. Arrivée au lieu de rendez-vous, un des charmeurs me dit que Hakim est à la mosquée pour la prière et qu’il ne va pas tarder. Il m’invite à m’abriter du soleil sous le parasol et je me retrouve à quelques mètres à peine de plusieurs serpents, enroulés sur le sol, certains sont cachés sous des bendirs (grand tambourin) pour leur épargner du stress.

Je reconnais des vipères, des cobras et quelques fines couleuvres. L’une des vipères rampe lentement vers moi, j’ai l’impression qu’elle me fixe et veux faire connaissance. Je ne suis pas trop rassurée mais reste stoïque… un des hommes l’éloigne du pied, elle se remet en boule.

Les touristes qui visitent Marrakech sont forcément attirés par la fameuse place, nerf névralgique de la médina de Marrakech. Impossible d’échapper à son atmosphère envoûtante, une fois le soir tombé. La journée, la place change d’ambiance à mesure que les heures passent pour atteindre l’apothéose au coucher du soleil. Le matin, chacun se met en place, les tatoueuses de henné, les marchands de pharmacopée, les musiciens gnawas, et les fameux charmeurs de serpents. Ces derniers font partie intégrante de la culture marocaine, leur activité a été reconnue avec l’inscription de la place Jemaâ el Fna sur la liste représentative de l’Unesco comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2008.

Cette pratique ancestrale attire autant qu’elle fascine les touristes. Certains n’envisagent pas de quitter Marrakech sans s’être fait prendre en photo, un serpent autour du cou. D’autres se détournent des parasols des charmeurs, ne supportant pas la vue d’un serpent ou décriant l’exploitation des espèces animales.

Faisant plutôt partie de cette dernière catégorie, mais intriguée par l’immuabilité de cette pratique ancestrale, j’ai voulu en savoir plus en interrogeant directement un des acteurs de la place : Hakim.

Hakim m’explique que son grand-père lui a appris la profession dès ses 14 ans. Déjà dans les années 1950, l’aïeul pratiquait cet art, ayant reçu une autorisation d’occuper l’emplacement sur la place Jemaâ el Fna par le roi Mohamed V.

Les charmeurs de serpents sont appelés Aïssaoua, du nom de la confrérie issue de Mohamed Sidi Ben Aïssa, qui survécut après avoir mangé serpents et scorpions lors d’une pénible traversée du désert. Depuis, ses descendants seraient immunisés contre les morsures de serpents et protégés par une baraka vieille de quatre siècles.

Aujourd’hui, les charmeurs occupent cinq parasols répartis sur la place, depuis le matin jusqu’à la prière du maghrib (coucher du soleil). Chaque parasol abrite une famille, Hakim travaille sous le sien avec ses cousins. Je vais pouvoir lui poser mes questions, je veux en savoir plus sur le sort des serpents, leur provenance et ce qu’ils deviennent lorsque la place Jemaâ el Fna devient déserte.

Auparavant, les charmeurs allaient chercher eux-mêmes leurs serpents dans la nature. Aujourd’hui, ils ne se déplacent plus et les achètent à des braconniers qui les récoltent dans les montagnes ou le désert. Ce sont principalement des cobras (serpents noirs qui peuvent se dresser), des vipères (des montagnes, des sables, cornues) et des couleuvres (inoffensives). Une fois leur journée terminée, les charmeurs transportent les serpents dans leur boîte jusqu’à une chambre où ils sont nourris et soignés, toujours à une température régulée. Hakim m’assure qu’ils sont bien traités.

A l’état sauvage, tous les serpents sont carnivores et mangent de tout (crapauds, rongeurs, oiseaux ou encore lézards et poissons). Le cobra peut également se nourrir d’autres serpents. En captivité, tous ces serpents reçoivent de la viande de boucherie (cœur de bœuf).

Qu’en est-il de la dangerosité des serpents de la place ? Contrairement à ce que je croyais, leurs crochets ne sont pas retirés, me dit Hakim. De toute façon, ils repousseraient si c’était le cas. Les couleuvres ne soient pas venimeuses mais elles peuvent mordre. Alors qu’il agace celle qu’il tient en main, la couleuvre attrape les cheveux d’Hakim et s’y accroche fermement. Ce sont ces espèces inoffensives que les charmeurs mettent autour du cou des touristes.

Le venin du cobra est très venimeux, mais heureusement, celui-ci ne mord qu’en ultime recours. Il arrive même qu’il morde sans rien injecter (on parle alors de morsure sèche).

Mais lorsqu’elle s’accompagne de venin, la morsure des cobras et des vipères provoque des paralysies pouvant conduire à la mort. Plusieurs accidents sont survenus ces dernières années et des charmeurs sont morts alors qu’ils donnaient leur spectacle sur la place.

Les serpents sont sourds  et ne sont donc pas guidés par la musique des Aïssaoua. S’il est « charmé », ce sera par le rythme des vibrations produit par le son et par le mouvement  de la ghaita (trompette), du nay (flûte) et de la tête du charmeur. Face à ce mouvement, le cobra va se dresser pour se mettre en position de défense, offrant un spectacle impressionnant. C’est là que l’adresse et la prudence du charmeur sont indispensables. Au moindre moment d’inattention, le serpent peut attaquer et mordre.

Cette pratique centenaire a mauvaise réputation de nos jours. En cause, le fait que certaines espèces soient menacées d’extinction en Afrique du Nord contribue à montrer du doigt les charmeurs de serpents, mais aussi la supposée maltraitance de ces reptiles. 

Faut-il perpétuer ou combattre la pratique des charmeurs de serpents, comme ce fut le cas en Inde ? Le débat est loin d’être clos. Quoiqu’il en soit, les touristes n’ont pas fini d’être fascinés par ce spectacle fort en adrénaline et alimentent le moteur de cette pratique.

Article sur la place Jemaâ el Fna ici

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